Un bref historique des revendications particulières avant l’adoption du projet de la loi C-30 : La Loi sur le Tribunal des revendications particulières
Le projet de loi C-30, intitulé Loi sur le Tribunal des revendications particulières (LTRP), a été déposé devant la Chambre des communes le 27 novembre 2007. Il a été adopté par cette dernière le 13 mai 2008 et ensuite par le Sénat le 12 juin 2008, et il a obtenu la sanction royale le 18 juin 2008. La LTRP est entrée en vigueur le 16 octobre 2008.
La LTRP a radicalement transformé le processus de règlement des revendications particulières en établissant un tribunal indépendant, formé de juges de juridiction supérieure ayant le pouvoir de rendre des décisions exécutoires sur le bien-fondé des revendications et sur les indemnités à verser, et ce, jusqu’à concurrence de 150 millions de dollars par revendication.
Avant 1973
Entre 1927 et 1951, la Loi sur les Indiens interdisait aux bandes d’utiliser leurs fonds pour engager des poursuites contre le gouvernement et, de ce fait, on ne tenait généralement pas compte des prétentions des Premières Nations selon lesquelles le Canada ne respectait pas ses engagements.
En 1947, un Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes, constitué pour étudier la Loi sur les Indiens, a recommandé que l’on crée une « commission de revendications » « pour faire enquête […] sur les clauses de tous les traités conclus avec les Indiens […] et pour évaluer et régler de façon juste et équitable toutes revendications ou tous griefs qui en découlent ».
Entre 1959 et 1961, ce Comité mixte a aussi recommandé qu’une Commission des revendications autochtones fasse enquête sur les griefs de nature territoriale de la Colombie-Britannique et d’Oka.
Le projet de loi C-123, que les Libéraux ont déposé en 1969, a été la première réponse législative à ces recommandations. On y suggérait la création d’une commission composée de cinq membres et habilitée à rendre des décisions exécutoires et à accorder des indemnités pécuniaires, sans plafond prescrit. Ce projet de loi est mort au Feuilleton, et n’a jamais été présenté à nouveau.
De 1973 à 1990
La Cour suprême du Canada a rendu plusieurs décisions, à commencer par l’arrêt Calder (Calder c Procureur Général de la Colombie-Britannique, [1973] RCS 313, [1973] 4 WWR 1), qui allaient avoir un effet marqué sur l’évolution du droit des Autochtones en général et, plus précisément, sur les revendications particulières.
Dans l’arrêt Calder, la Cour suprême du Canada a confirmé le principe selon lequel l’occupation de longue date du territoire par les Autochtones a fait naître des droits territoriaux qui ont continué d’exister après l’établissement des Européens. Cet arrêt a incité le gouvernement fédéral à examiner la façon dont on traitait les revendications des Autochtones. Un cadre de principe, axé sur l’évaluation et la négociation des revendications fondées sur l’existence d’un titre ancestral (les « revendications globales ») et des revendications découlant de traités et de prises de terres de réserve (les « revendications particulières ») a été établi.
En 1974, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) s’est doté du Bureau des revendications autochtones (BRA), qui s’est vu confier le double rôle d’examiner les revendications découlant de l’inexécution des obligations légales du gouvernement et de représenter ce dernier dans les négociations avec les Premières Nations.
Le conflit d’intérêts inhérent à ce processus a donné lieu à des demandes concernant la création d’un organisme impartial et indépendant. En 1982, le gouvernement fédéral a publié un document intitulé Dossier en souffrance – Une politique des revendications des Autochtones – Revendications particulières. Aux termes de cette politique, le BRA a continué d’évaluer les revendications, d’obtenir des avis juridiques du ministère de la Justice et de faire état de l’approbation ou du rejet, par le ministre, des revendications.
Les Premières Nations ont continué de critiquer le processus pour son manque d’impartialité, faisant valoir que le contrôle qu’exerçait le Canada sur le processus des revendications représentait un grave conflit d’intérêts.
En 1983, le rapport Penner sur l’autonomie politique des Indiens a recommandé que l’on remplace le modèle de règlement des revendications de 1982 par un organisme indépendant et que l’Assemblée des Premières Nations (APN) et le gouvernement conçoivent une politique législative conjointe.
De 1991 à 2002
En 1986, la revendication particulière des Mohawks de Kanesatake a été rejetée, et cela a été suivi par les événements de l’été de 1990, déclenchées par le différend avec la municipalité d’Oka au sujet de l’aménagement de terres visées par la revendication. Cette crise a relancé le mouvement en faveur de réformes et s’est soldée par l’annonce, par le premier ministre Mulroney, de la création d’un groupe de travail mixte APN-MAINC qui serait chargé d’établir un mécanisme indépendant de règlement des revendications, ainsi que de la création intérimaire d’une « commission des revendications particulières des Autochtones », qui servirait de mécanisme indépendant de règlement des différends.
La Commission des revendications des Indiens (CRI)
La CRI a été constituée à titre d’organisme consultatif indépendant provisoire, formé de six commissaires autorisés à étudier les revendications particulières rejetées par le gouvernement et à rendre des décisions non exécutoires.
Un examen des recommandations que la CRI a formulées entre 1991 et 2009 dénote l’existence d’appels constants en faveur de l’établissement d’un nouvel organisme indépendant. Dans son rapport annuel pour 2002-2003, la Commission a recommandé ce qui suit :
- « le nouvel organisme doit être indépendant. L’indépendance réelle réside dans un organisme qui soit autonome et ne dépende pas d’une intervention extérieure, comme le ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien ou le Ministre, pour valider ses travaux.»;
- « le nouvel organisme doit être habilité à rendre des décisions exécutoires »;
- « le nouvel organisme doit constituer pour les parties visées une solution de rechange viable aux tribunaux. Toutes les parties doivent le considérer comme un moyen efficient, expéditif et définitif».
La Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA)
Dans le rapport final qu’elle a publié en 1996, la CRPA a recommandé que l’on restructure de fond en comble la manière de traiter les revendications des Autochtones. Plus précisément, elle a recommandé l’établissement, par une loi fédérale, d’un tribunal indépendant destiné à remplacer la CRI et investi du pouvoir de trancher les revendications particulières et de rendre des ordonnances exécutoires.
Les groupes de travail mixtes APN-Canada et le projet de loi C-6
Deux groupes de travail mixtes (en 1992 et 1996) ont demandé eux aussi que l’on adopte une loi destinée à créer un organisme indépendant qui trancherait les revendications particulières des Premières Nations.
En 2002, le projet de loi C-6, intitulé Loi sur le règlement des revendications particulières, a été déposé devant la Chambre des communes; il visait à établir un nouveau mécanisme administratif, formé d’une commission, en vue de négocier et de régler les revendications particulières, ainsi que d’un tribunal ayant le pouvoir de rendre des décisions exécutoires sur, d’une part, le bien-fondé des revendications et, d’autre part, l’octroi d’indemnités, jusqu’à concurrence de 10 millions de dollars par revendication. Le projet de loi n’a pas obtenu l’appui de l’APN et, même s’il a été adopté par la Chambre des communes et le Sénat et a obtenu la sanction royale en novembre 2003, jamais il n’a été proclamé en vigueur.
Le Plan d’action relatif aux revendications particulières et la Loi sur le Tribunal des revendications particulières
Le 12 juin 2007, le premier ministre et le chef national de l’APN ont annoncé conjointement un plan visant à réformer le régime de règlement des revendications particulières. La réforme la plus importante qui a été proposée faisait appel à la création d’un tribunal doté de juges impartiaux et habilités à rendre des décisions exécutoires finales sur les questions de bien-fondé des revendications et d’octroi d’indemnités.
Un texte de loi reflétant cette nouvelle initiative a été rédigé et a mené à la création du projet de loi C-30, la LTRP, qui a reçu la sanction royale en juin 2008.